Theodor Schwann
La cellule, reine du monde du vivant
Au début des années 1800, l’unité de base en biologie est toujours le tissu. Jusqu’à ce que Theodor Schwann propose sa théorie cellulaire en 1839, faisant de la cellule l’unité structurale et fonctionnelle fondamentale de tous les être vivants. Et faisant de lui un de ces grands noms qui ont marqué l’histoire de la biologie.
Du XVème au XIXème siècle, l’histoire de la terre et de la vie est marquée par la découverte de nouveaux mondes. La première idée qui vient souvent à l’esprit est l’exploration de l’Amérique à partir de 1492. D’un point de vue scientifique, ce « nouveau monde », qui a évolué indépendamment de l’Europe, regorge d’espèces animales et végétales inconnues des Européens. De quoi satisfaire la curiosité et la soif de connaissance de plus d’un scientifique ! Mais les nouveaux mondes « géographiques » ne sont pas les seuls à s’ouvrir aux chercheurs à cette époque. Les énormes progrès dans les instruments et équipements scientifiques permettent de plonger, par exemple, au cœur du petit grâce à la microscopie. Les microscopes sont de plus en plus performants et permettent des observations jusqu’alors impossibles. Ce développement a révolutionné la biologie en rendant accessible le monde cellulaire. C’est au XVIIème siècle que « la cellule » a été décrite par un de plus grands scientifiques expérimentaux de ce temps là : Robert Hooke. « A cette époque, l’unité en biologie était le tissu mais on ne connaissait pas ce qui composait ces tissus », explique Vincent Geenen, Professeur d’embryologie à l’Université de Liège.
La cellule, une star laissée longtemps dans l’ombre
En 1667, Robert Hooke est le premier à utiliser le mot « cellule » après avoir examiné des tranches de liège végétal. « Il constate que ce liège contient une série de structures, toutes les mêmes, qui ressemblent à des chambres de moines », précise Vincent Geenen, « il les baptisera dès lors cellules ». Mais si la découverte de la cellule revient à Robert Hooke, ce n’est que bien plus tard que cette notion de cellule prendra toute son ampleur. « A l’époque de Robert Hooke, cette notion est restée au stade de la description. Il faudra attendre quasiment deux siècles pour que Theodor Schwann propose sa théorie cellulaire faisant de la cellule l’unité de base en biologie ». Issu d’une famille catholique allemande, Theodor Schwann est un élève timide, introverti avec déjà une forte attirance pour les sciences naturelles. Au cours de ses études de médecine à l’université de Bonn, il rencontre Johannes Peter Müller, un grand professeur de physiologie qui devient son mentor et l’initie à la recherche. Son début de carrière est marqué par l’apport de nombreuses contributions scientifiques dans divers domaines. « Lors de sa thèse de doctorat en médecine, il démontre que l’oxygène est indispensable à l’œuf de poule et il mène également une thèse annexe visant à challenger une idée très en vogue à l’époque : la génération spontanée. Il travaillait à une explication physico-chimique de la vie » explique Vincent Geenen. « Il montra également que la digestion dans l’estomac repose essentiellement sur une enzyme, la pepsine ». C’est aussi à Theodor Schwann qu’on doit l’introduction du terme « métabolisme » à la fin des années 1830.
Une pensée géniale
Mais ce qui a indéniablement élevé Theodor Schwann au rang des grands scientifiques de ce monde c’est sa théorie cellulaire. En 1837, un de ses homologues professeur de botanique à l’université d’Iéna en Allemagne, Matthias Jakob Schleiden, découvre que des structures semblables aux cellules de moines décrites par Robert Hooke sont présentes dans tous les tissus végétaux qu’il examine. Lors d’un déjeuner, Matthias Jakob Schleiden fait part de son constat à Theodor Schwann qui a lui même observé ce type de structures dans des tissus animaux. Ce dernier comprend alors l’importance de relier ces observations et écrit le célèbre manuscrit « Recherches microscopiques sur la similarité de structure et de développement des cellules animales et végétales » (1) en 1839. La théorie cellulaire était née. La cellule devint dès lors l’unité de base en biologie. « Avec cette théorie qui amorce l’idée que l’origine cellulaire est commune à tout ce qui vit, Theodor Schwann combat le vitalisme, une théorie communément acceptée à ce moment-là », indique Vincent Geenen. « Selon le vitalisme, la vie apparaît grâce à une force ou une énergie qu’on ne connaît pas mais qui anime le monde du vivant. Theodor Schwann dira que « c’est la cellule qui est à l’origine de la vie ». Ainsi l’œuvre de Theodor Schwann est avant tout un acte de pensée qui l’a poussé à définir la cellule comme unité de base de la vie. Une citation du grand physiologiste hongrois Szent Gyorgyi illustre bien les choses : le génie c’est voir ce que tout le monde voit mais de penser ce que personne n’a pensé », souligne Vincent Geenen. Vingt ans plus tard sa théorie était communément acceptée. Theodor Schwann recevra la médaille Copley en 1845 pour ces travaux. Cette récompense attribuée par la Royal Society de Londres est, à cette époque, la plus prestigieuse au Royaume-Uni.
La cellule, point de départ de tout être vivant
Avant et après avoir élaboré sa théorie cellulaire, Theodor Schwann a consacré un temps considérable à observer des tissus animaux au microscope. Il a ainsi examiné du cartilage prélevé sur des branchies de têtards, des os, des ovules d’oiseau, les premiers rudiments d’embryons, des dents, des plumes, des tendons, des muscles, des nerfs et bien d’autres structures qui composent les organismes animaux. Dans tous ceux-ci, il constate effectivement la présence de cellules composées d’une cavité délimitée par une paroi et contenant un noyau (appelé alors « cytoblaste ») avec un nucléole. Outre la structure en tant que telle, il observe aussi la formation de jeunes cellules à partir de cellules existantes. Ce qui confirme que les parties élémentaires les plus différentes des animaux et des plantes ont un mode commun de développement : leur origine est toujours une cellule.
Les « Recherches microscopiques sur la conformité de structure et de croissance des animaux et des plantes » publiées en 1839 par Theodor Schwann constituent l'acte de naissance de la théorie cellulaire. Le physiologiste allemand montre que la cellule est la structure élémentaire de tous les organismes vivants, qu'ils soient animaux ou végétaux, simples ou complexes.
Theodor Schwann partagera par la suite les tissus animaux en cinq classes en fonction des cellules qui les composent : cellules indépendantes et isolées nageant dans des liquides ou situées les unes près des autres et mobiles (corpuscules sanguins, lymphatiques, purulents, muqueux…), cellules indépendantes tenant fortement aux autres (épithélium, ongle, cristallin, plumes,…), cellules dont les parois mais non les cavités sont fondues les unes dans les autres (cartilage, dents, …) ou encore des cellules fibreuses qui s ‘allongent pour former des faisceaux de fibres (tendons,…) ou des cellules dont les parois et les cavités sont fondues les une dans les autres (muscles, nerfs,…). Aujourd’hui les tissus animaux sont regroupés en quatre grandes catégories selon leur morphologie : les tissus épithéliaux, conjonctifs, musculaires, nerveux.
L’ancêtre du scaphandre créé à l’Université de Liège
« L’année où il écrit son manuscrit, Theodor Schwann connaît, curieusement, une crise de mysticisme, un renouveau du sentiment religieux et abandonne son rationalisme scientifique », indique Vincent Geenen. A partir de 1848, il se consacrera alors majoritairement à l’enseignement et à ses étudiants. D’abord à l’université catholique de Louvain qu’il rejoint en 1848. « Durant ces années il se penche notamment sur le rôle de la bile dans la digestion », poursuit Vincent Geenen. Puis à l’Université de Liège où il arrive en 1849, il occupe une Chaire d’Anatomie. Il y enseignera jusqu’en 1881. Une de ses dernières grandes contributions scientifiques, réalisée à l’Université de Liège, fut une réponse à la question lancée par l’Académie des Sciences : « Comment vivre dans un milieu irrespirable ? ». La réponse de Theodor Schwann fut d’inventer un appareil permettant de respirer dans un milieu dépourvu d’oxygène (2). « A ce moment, il s’intéresse plus particulièrement à l’ingénierie médicale et, grâce à ses connaissances en physiologie sur les échanges gazeux, il créa ainsi l’ancêtre de la bonbonne à oxygène et du scaphandre », précise Vincent Geenen.
Prototype de recycleur/scaphandre a construit en 1853 par le Pr Theodor Schwann à l’Université de Liège
L’avènement de la cytologie, c’est-à-dire l’étude de cellules isolées, découle de la théorie cellulaire proposée par Theodor Schwann. « C’est à partir de là qu’on a pu commencer à comprendre le fonctionnement des cellules, le développement des embryons et les pathologies liées au dysfonctionnement cellulaire », souligne Vincent Geenen. L’œuvre de pensée de Theodor Schwann a ouvert un boulevard permettant aux jeunes scientifiques de cette époque, comme ses collègues Edouard van Beneden et Léon Fredericq, ainsi que leurs successeurs de réaliser des avancées considérables dans la compréhension des mécanismes cellulaires.
Un texte rédigé par Audrey Binet
Références scientifiques
(1) Mikroskopische Untersuchungen über die Übereinstimmung in der Struktur und dem Wachstum de Tiere un Pflanzen. Berlin, Sander’sche Buchhandlung, 1839 . « Recherches microscopiques sur l’analogie de structure et de croissance entre les animaux et les plantes ».
(2) Description de deux appareils permettant de vivre dans un milieu irrespirable. Liège, De Thier (Liège), 1878.
Theodor Schwann
Theodor Schwann naît en 1810 près de Düsseldorf. Il étudie aux universités de Bonn (il y étudie la philosophie), Würzburg et enfin Berlin, dont il sort docteur en médecine en 1834 avec une thèse sur le rôle de l’oxygène dans le développement de l’embryon de poulet. Jusqu’en 1838, il est l’assistant du physiologiste Johannes Peter Müller au Muséum d’anatomie de Berlin. En 1839, critiqué pour ses travaux sur le rôle des microorganismes dans le phénomène de fermentation, il quitte l’Allemagne pour la Belgique. Il est d’abord accueilli à l’Université de Louvain (où il enseigne l’anatomie jusqu’en 1847) puis en 1848 à l’Université de Liège où, pendant 30 ans, il enseigne l’anatomie, l’embryologie et la physiologie.
C’est au cours de sa période berlinoise que Schwann accomplit l’essentiel des recherches qui vont le rendre célèbre et notamment toutes les observations sur lesquelles il base sa théorie cellulaire. Mais, profondément croyant, il va être perturbé par ses propres découvertes qui rejettent toute possibilité de « force vitaliste » ou génération spontanée admises jusqu’alors. A Liège, il dispose enfin d’un laboratoire où il peut réaliser toutes les expériences qu’il souhaite… mais Schwann, qui semble traverser une crise de mysticisme qui ne le quittera plus jusqu’à sa mort, se détourne de la recherche fondamentale pour préférer la recherche appliquée (invention de son appareil respiratoire autonome).
Retraité en 1879, il retourne en Allemagne où il décède en 1882.
Consulter la liste des publications de Theodor Schwann sur ORBi (Open Repository and Bibliography).
Vincent Geenen
Vincent Geenen est directeur de recherches au F.R.S.-FNRS de Belgique, professeur d'embryologie et d'histoire de la recherche biomédicale à l'Université de Liège, et chef de clinique d'endocrinologie au CHU de Liège. Il dirige le Centre d'Immunoendocrinologie installé depuis janvier 2012 à l'institut de recherche GIGA-R. Il est secrétaire du Fonds Léon Fredericq pour la recherche biomédicale au CHU de Liège et membre de la commission SVS-4 du F.R.S.-FNRS.
Depuis près de 30 ans, Vincent Geenen et son équipe travaillent sur le thymus, organe lymphoïde central du système immunitaire. Ses recherches ont permis de démontrer que le thymus exerce un rôle unique dans l'éducation du système immunitaire à reconnaître et à tolérer les fonctions neuroendocrines, et qu'un dysfonctionnement du thymus est impliqué dans le développement de l'auto-immunité sélective du diabète de type 1. Actuellement, le Centre d'Immunoendocrinologie met au point un nouveau type de vaccination négative/tolérogène contre le diabète de type 1.
Vincent Geenen a aussi été coordinateur du projet intégré FP6 Eurothymaide (2004-2008). Ce consortium de 20 laboratoires académiques et de 5 PME Biotech a travaillé au développement de nouvelles approches diagnostiques et thérapeutiques des maladies auto-immunes basées sur les nouvelles connaissances des mécanismes tolérogènes naturels du thymus.
Consulter la liste des publications de Vincent Geenen sur ORBi (Open Repository and Bibliography).
Glossaires
Vitalisme : le vitalisme est une doctrine selon laquelle les phénomènes vitaux de l'organisme (accroissement, développement du plan héréditaire, nutrition, etc.), loin de s'expliquer par le simple jeu des forces physico-chimiques, sont dus à l'action d'un principe vital conçu, soit sous forme d'une âme intelligente, soit sous forme d'un archée (corps astral) subalterne.
Nucléole : sous-compartiment du noyau des cellules eucaryotes où se déroulent la transcription et la maturation des ARN ribosomiques ainsi que les première étapes d’assemblage des ribosomes.