Par Marc-Éric Gruénais, Anthropologue,
Université de Bordeaux – UMR Les Afriques dans le Monde (CNRS-Sciences Po Bordeaux)
Dans les années 1980, l’OMS s’attachait à « revaloriser » les médecines traditionnelles. Les répondants nationaux, notamment en Afrique, étaient les États qui créaient des départements de médecine traditionnelle (parfois auprès des ministères de la santé) et/ou des associations nationales de tradipraticiens.
Les acteurs nationaux se positionnaient alors dans une perspective de mise en valeur des savoirs locaux de pays dominés qui, face à la biomédecine importée de pays dominants du Nord, étaient susceptibles de produire des remèdes « traditionnels » efficaces. Le débat était alors très politique.
Considérant également les constructions symboliques liées à ces savoirs et pratiques « traditionnelles » de prise en charge de la maladie, de vifs débats avaient trait à la nécessité de différencier les « bonnes pratiques » des « vrais » tradipraticiens se limitant à l’usage des remèdes à base de plantes des « charlatans » et autres « sorciers » qui fondaient leurs pratiques sur des aspects « mystiques », pour reprendre les expressions de l’époque. L’inscription de la place à accorder aux « médecines traditionnelles » s’est aujourd’hui sensiblement dépolitisée pour se médicaliser.
L’OMS continue de produire des plans d’actions en faveur du développement des « médecines traditionnelles et alternatives » qualifiées aussi désormais de « complémentaires » : l’auteure de la découverte de l’efficacité d’une molécule extraite d’une plante reçoit le prix Nobel de médecine, les médecins tentent de réanchanter leur pratique en s’adonnant également à des pratiques de médecines parallèles, et face au fardeau grandissant des maladies chroniques des acteurs de la biomédecine d’institutions du Nord se préoccupent de plus en plus de ces médecines complémentaires. La communication tentera de retracer cette évolution de la politisation du débat dans le contexte des rapports Nord/Sud à sa médicalisation dont on tentera de montrer qu’elle continue à produire des normes sur les « bonnes » et les « mauvaises » pratiques qualifiées de « traditionnelles », « complémentaires » et/ou « alternatives », mais aussi à alimenter les tensions entre le Nord et le Sud.