Université de Liège - bicentenaire

Paul Ledoux

Le « Critère de Ledoux » sur la stabilité des couches internes des étoiles est toujours utilisé aujourd'hui dans les modèles d'évolution stellaire.


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« In this paper the effect of a discontinuity in the mean molecular weight in stellar models is examined » : en une phrase de préambule d'un de ses articles les plus célèbres (1), publié en 1947 dans The Astrophysical Journal, Paul Ledoux résume un pan entier de ses recherches.

Avant d'en arriver là cependant, il aura connu une vie aussi mouvementée et instable que celle des étoiles qu'il étudie. Comme pour tous les chercheurs de sa génération - mais pour lui davantage que pour d'autres sans doute - les conditions de travail de Paul Ledoux sont en effet tributaires des événements qui secouent alors le monde. Mais malgré toutes ces vicissitudes, Paul Ledoux reste fidèle à un axe de recherche, présent dès sa première publication et qui ne cessera de s'affirmer au fil des suivantes : étudier la stabilité des étoiles et donc leur évolution au cours du temps. d'où lui est venue cette passion ? « Il s'emblerait, expliquent Eric Gosset et Jean-pierre Swings, astrophysiciens, respectivement Maître de recherches FRS-FNRS et Professeur Honoraire, que la lecture, durant ses études de physique à l'Université de Liège, de l'ouvrage d'Arthur Eddington, The Internal Constitution of stars, ait été déterminante ». L'ouvrage paraît en 1926, époque où la compréhension de ce que sont réellement les étoiles est très sommaire. D'où provient leur énergie qu'on devine fabuleuse ? Pour Kelvin et d'autres, c'est de l'effondrement de l'étoile sur elle-même, mais Eddington suggère au contraire que des réactions nucléaires - particulièrement la fusion des atomes d'hydrogène pour donner de l'hélium - sont à l'oeuvre au centre des astres. il est aussi le premier à déterminer une relation entre masse et luminosité et à expliquer la pulsation des étoiles variables. A côté d'Eddington, que Ledoux semble n'avoir jamais rencontré, deux personnalités s'imposent lors des années 1930 dans l'étude des étoiles ; et ces deux noms vont compter pour Paul Ledoux : Svein Rosseland (1894-1985) et Subrahmanyan Chandrasekhar (1910-1995).

Le geste de « Chandra »

Svein Rosseland est un astrophysicien norvégien qui, un peu plus âgé que Paul Ledoux, va le guider dans ses premières recherches. Grâce au Professeur Polydore Swings auprès duquel il travaille comme jeune licencié en science physique, Paul Ledoux arrive en effet à l'Institut d'astrophysique théorique d'Oslo en 1939 dans le but d'étudier la structure des étoiles et leur stabilité, spécialité de Rosseland. L'année, on le devine, n'est pas propice à la recherche fondamentale sur les étoiles : l'important se déroulera bientôt sur les champs de bataille. Malgré cela, comme on le verra, le séjour de ledoux à Oslo aura été bénéfique. lors de l'invasion de la Norvège, Paul ledoux entame un périple assez rocambolesque (lire sa biographie) qui le mène d'Oslo aux Etats-unis, plus précisément au Yerkes Observatory de l'université de Chicago. Il y rencontre un jeune et brillant astrophysicien indien de la même génération que lui, Subrahmanyan Chandrasekhar, futur Prix Nobel de physique, avec lequel il va travailler et se lier d'amitié. Paul Ledoux reste au Yerkes de décembre 1940 à septembre 1941 avant de mettre son savoir au service des Alliés sur le front de la... météorologie. « Aussi mouvementée soit-elle, cette première période de la carrière de Paul Ledoux a été féconde, expliquent Eric Gosset et Jean-Pierre Swings. Nous en voulons pour preuve un article publié en 1941 (2). Ledoux part des travaux de Rosseland et applique pour la première fois la théorie de la stabilité aux étoiles.» Paul Ledoux est ainsi le premier à concevoir l'existence d'une masse maximale des étoiles stables de la séquence principale (3) et à la calculer ! Verdict : une étoile de masse supérieure à 100 masses solaires ne peut être stable. il n'en restera pas là et malgré le conflit mondial et ses occupations dans la Royal Air Force, il poursuit ses recherches et publie un autre article, très technique, sur le même sujet en 1945 (4). un article qui a une histoire. « Chandrasekhar s'était intéressé au premier article de Ledoux ainsi qu'à ses travaux ultérieurs restés à l'état de notes non publiées  il avait continué en quelque sorte le travail de Ledoux. Il voulait publier ses propres travaux mais cela le gênait déontologiquement puisqu'il aurait dû faire référence aux travaux non publiés de son collègue. Chandra, comme on le surnommait, et l'a fait publier ! Sans le co-signer, geste élégant de la part du futur Prix Nobel. » un article dont la signature est unique dans les annales de l'Astrophysical Journal (et sans doute de toutes les revues scientifiques) : P. Ledoux, F/L.R.A.F., Stanleyville, Belgian Congo !

Source : Subrahmanyan Chandrasekhar, Prix Nobel de physique. Paul ledoux et lui vont travailler ensemble et se lier d'amitié au Yerkes Observatory, au début de la guerre. « Chandra » mettra en forme et fera publier des travaux de Ledoux lorsque celui-ci sert dans les forces alliées en Afrique.

Le critère de Ledoux

L'article de 1947 déja cité (1) et les suivants vont déboucher sur une formulation théorique de l'évolution stellaire. De retour à l'université de Liège, Paul Ledoux est en effet parmi les premiers à construire des modèles stellaires basés sur un noyau convectif s'appauvrissant au fur et à mesure de la disparition des atomes d'hydrogène. « La convection était un de ses sujets favoris, expliquent Eric Gosset et Jean-Pierre Swings. La disparition progressive de l'hydrogène au sein d'une étoile entraîne une discontinuité de ce que Ledoux appelle le poids moléculaire moyen - même s'il n'y a pas de molécules au sens strict - et il étudie l'effet de cette discontinuité sur la structure de l'étoile. pour l'expliqer, il introduit la notion de semi-convectionn ». Rappelons que dans le coeur d'une étoile moyenne, l'énergie de fusion nucléaire se transmet par rayonnement (c'est la zone radiative de l'étoile). Autour de cette zone, il y a la zone convective où l'énergie se transmet par les mouvements de la matière selon un cycle : la matière chaude s'élève, se dilate et éventuellement échauffe la matière alentour, se refroidit, donc redescend vers la base de la zone convective, et ainsi de suite. C'est le phénomène de convection cher à Paul Ledoux. Dès 1906, l'astrophysicien allemant Karl Schwarzschild (1873-1916) avait établi un critère basé sur le gradient de température pour déterminer si une zone de l'étoile est stable ou non (pas de mouvement de matière ou mouvements, surtout radiax, de celle-ci). Paul ledoux va, pour sa part, étudier la jonction entre les deux zones. pour expliquer la forme de la discontinuité de poids moléculaire résultant de la transformation d'hydrogène en hélium au bord de la zone convective, il postule l'existence d'une zone semi-convective. il définit aussi un critère de stabilité de la zone convective tenant compte de la variation du poids moléculaire moyen, affinant ainsi considérablement le critère de Schwarzschild. « Ce critère - appelé aujourd'hui Critère de Ledoux - est encore utilisé pour l'élaboration des modèles d'étoiles. Grâce à cela, on peut déterminer où se trouvent les zones convectives dans une étoile. »

Paul ledoux (à droite) lors d'un colloque d'astrophysique de Cointe.

Le précurseur de l'astérosismologie

Parmi les publications majeurs de Paul Ledoux, on ne peut ignorer les deux articles (5) qu'il publie dans le Handbuch der Physik de 1958. le premier, écrit en collaboration avec l'astronome néerlandais Théodore Walraven (1916-2008) traite des étoiles variables. Le second, dont il est seul signataire, de la stabilité stellaire. « Ces deux articles, et particulièrement le second, sont devenus la bible de tous ceux qui ont commencé à faire des travaux théoriques sur la stabilité et l'évolution stellaire. On peut même affirmer que le second est considéré comme l'article fondateur de l'astérosismologie (6). » une référence, en particulier pour ceux qui ont fait (et font) partie de ce qu'on appelle l'école liégoise d'astrophysique théorique que Paul ledoux a initiée.

Un article rédigé par Henri Dupuis


Références scientifiques

(1) Stellar models with convection and with discontinuity of the mean molecular weight, P. Ledoux, The Astrophysical journal, vol. 105, 1947.

(2) On the vibriationnal stability of gaseous stars, P. Ledoux, The Astrophysical journal, vol. 94, 1941.

(3) Pour faire bref et simple, les étoiles de la séquence principale sont celles dont l'énergie provient de la fusion de l'hydrogène en hélium. C'est le cas de la majorité des étoiles. Ce qui s'explique par le fait que cette phase de la vie d'une étoile est de loin la plus longue et la plus stable.

(4) On the radial pulsation of gaseous stars, P. ledoux, The Astrophysical Journal, vol. 102, 1945.

(5) Variable Stars, Ledoux, Paul ; Walraven, Theodoor et Stellar Stability, ledoux, Paul. Handbuch der Physik, volume 51, 1958.

(6) Cette discipline étudie en effet les mouvements sismiques dans les étoiles (leurs oscillations, pulsations). Lesquels sont soit auto-entretenus soit dus par exemple aux violents mouvements de convection qui s'y produisent. L'étude de ces mouvements sismiques permet de déterminer la structure interne des étoiles. On comprend donc que les travaux de Ledoux sur la stabilité des étoiles. On comprend donc que les travaux de Ledoux sur la stabilité des étoiles et plus particulièrement sur les phénomènes à l'oeuvre dans la zone de convection fassent de l'astrophysicien liégeois un précurseur de l'astérosismologie moderne.

Sources documentaires

A. Noels, In Memoriam : Paul Ledoux, Ciel et Terre, Vol 105, 1989.

Robert Halleux, Geert Vanpaemel, Jan Vandersmissen en Andrée Despy-Meyer (éds.), Histoire des sciences en Belgique, 1815-2000, bruxelles : Dexia/La Renaissance du livre, 2001.

Paul Ledoux (1914-1988)

Paul Ledoux naît à Forrières, dans les Ardennes. Il accomplit ses études secondaires à l'Athénée de Marche-en-Famenne puis des études de physique à l'Université de Liège. Le Professeur Polydore Swings remarque cet étudiant brillant, promis à un bel avenir. En 1939, il l'envoie donc se former auprès de Svein Rosseland ç Oslo, auprès duquel il découvrira véritablement l'astrophysique théorique. Mais les Allemands envahissent bientôt la Norvège et Paul Ledoux se réfugie d'abord en Suède puis tente de rejoindre les Etats-Unis, ce qu'il finit par faire fin 1940 seulement, après un périple qui le mène en Russie puis au Japon (et avoir été suspecté d'espionnage dans ces deux pays !). Il pose enfin ses valises au Yerkes Observatory, où il retrouve Pol Swings qui y était réfugié, et se lie d'amitié avec Subrahmanyan Chandrasekhar, futur Prix Nobel de physique. Boursier de la Belgian American Educational Foundation de décembre 1940 à septembre 1941, il demande à rejoindre les forces armées belges au Canada. laissant sa famille aux USA, il rejoint le service météorologique intégré au sein de la Royal Air Force (RAF), d'abord à londres (il calcule des trajectoires pour les avions de bombardement) puis au Nigeria et au Congo. Il termine la guerre comme officier (capitaine) météo.

Démobilisé en 1946, il rentre à Liège pour, enfin, présenter sa thèse de doctorat puis s'échappe vers Yerkes où il peut enfin retrouver sa famille après presque 5 ans d'absence. Sa fille, née juste avant son départ, est, parait-il, tout étonnée de découvrir un père qui parle le français ! L'année 1947 et le retour à Liège ne signifient pas la fin des aventures de Paul Ledoux. Il n'y a en effet pas de place pour lui à l'université et il doit accepter un emploi au sein du service météo de la Régie des Voies aériennes. les services européens s'efforcent en effet de combler une lacune découverte pendant la guerre : pour que les prévisions deviennent plus fiables, on ne peut se contenter de données récoltées sur le continent américain et sur le continent européen  il faut aussi en récolter sur l'Atlantique ! Paul Ledoux est donc envoyé à nouveau aux USA avec une mission étonnante :négocier l'achat d'un bateau équipé pour réaliser des mesures de vents en altitude ! il donne aussi des cours aux prévisionnistes qu'il cumule avec des tâches d'assistant en physique à l'Université de Liège. Après avoir présenté sa thèse d'agrégation en 1949, il est enfin nommé en 1950 chef de travaux à l'université de Liège, institution qu'il ne quittera plus.

Nommé professeur, il regroupera autour de lui et de ses recherches un nombre important de jeunes qui vont bientôt constituer ce qu'on appellera l'école liégeoise d'astrophysique théorique. Prix Francqui en 1964, Paul Ledoux a également reçu la médaille Eddington de la Royal Astronomical Society en 1972. Et s'il était avant tout un théoricien remarquable, Paul Ledoux, souvent à l'instigation de Pol Swings, ne dédaignait pas le côté pratique de la recherche. il fut ainsi président du Comité des Programmes de l'observatoire européen austral - ESO - dans les années 1970 et président du Conseil de l'ESO au début des années 80.

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Eric Gosset

Si Eric Gosset a toujours été attiré par la physique, son dévolu se porte au départ sur le nucléaire et l’électronique. La passion pour l’astrophysique est plus tardive : il aura fallu attendre l'année de rhétorique et les deux années de candidature en sciences physiques, l’assistance à de nombreuses conférences, notamment de la Société Astronomique de Liège et des virées nocturnes avec un ami à observer les constellations pour qu’elle s’impose. Licencié en physique de l’Université de Liège en 1978, il devient pendant un an l’élève assistant puis l’assistant de l’astrophysicien Léo Houziaux, avant d’obtenir le statut, dans le groupe de J.P. Swings, de chercheur au F.R.F.C. (Fonds de la Recherche Fondamentale Collective) en janvier 1980.

Après avoir passé plusieurs années à travailler au développement d’un instrument pour acquérir des spectres d’étoiles dans l’infrarouge très proche, domaine encore peu exploré à l'époque (projet dont le financement sera arrêté), Eric Gosset réoriente ses recherches vers ces noyaux de galaxies lointaines et très énergétiques que sont les QUASARs (QUAsi-Stellar Objects) qui deviennent son sujet de doctorat. En décembre 1987, il défend sa thèse sur la distribution spatiale des quasars, avec une thèse annexe sur la variabilité des étoiles de type Wolf-Rayet.

C’est au cours d’un séjour post-doctoral de 3 ans à Munich, au quartier général de l’ ESO, qu’Eric Gosset entre sérieusement dans l’univers des étoiles massives et des Wolf-Rayet, univers qu’il ne quittera plus depuis. De retour à l’Université de Liège, il obtient un poste de chercheur qualifié au FNRS en 1993. Il passe son agrégation en 2007, et devient maître de recherches au FNRS en 2008. Il donne un cours sur l'analyse des séries temporelles en astronomie.

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Jean-Pierre SWINGS

Jean-Pierre Swings est Professeur Honoraire (astrophysique spatiale) à l'Université de Liège, où il a obtenu ses diplômes (ingénieur-physicien en techniques spatiales, Docteur en sciences et Agrégé de l'Enseignement Supérieur). Entre les deux derniers, il a passé trois années de post-doc au Joint Institute for Laboratory Astrophysics (Boulder, Colo.) ainsi qu'aux Hale Observatories (Pasadena, Californie ... son lieu de naissance).

Ses sujets d'intérêt sont la physique solaire, les objets à raies d'émission et excès d'infrarouge, l'astrophysique extragalactique, la recherche spatiale, les (très) grands télescopes et leur instrumentation, ainsi que le système solaire et son exploration, Mars en particulier. Il a graduellement évolué de l'observation astrophysique à "l'astropolitique" en tant que Secrétaire Général de l'Union Astronomique Internationale (UAI), membre de nombreux comités de l'Agence Spatiale Européenne (ESA) et membre du Conseil de l'Observatoire Européen Austral (ESO), où il a été fortement impliqué dans les comités relatifs à l'élaboration du Very Large Telescope et le choix de son site d'implantation. Il a été un des quatre fondateurs de la Société Européenne d'Astronomie (EAS). Jean-Pierre Swings a aussi été Président du European Space Sciences Committee (ESSC) de la Fondation Européenne de la Science (ESF), de mai 2007 à novembre 2014 et membre du Space Advisory Group (SAG) de la Commission Européenne (7ème programme-cadre).

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