Université de Liège - bicentenaire

Marcel Florkin

Le témoignage biochimique de l’évolution animale

Fondateur de la biochimie comparée, Marcel Florkin a consacré sa vie de chercheur à mettre en évidence les traces de l’évolution animale au travers de la biochimie. Ses recherches ont permis de rendre compte d’une unité biochimique du vivant.

Le monde du vivant, l’origine des espèces qui le composent, leurs liens à travers les millénaires, de quoi sont faits les divers organismes sont des questions qui intriguent l’être humain depuis des siècles. Certains philosophes de l’Antiquité auraient approché le phénomène de l’évolution mais il aura fallu attendre le XIXe siècle pour des explications scientifiques communément admises. La théorie de Charles Darwin, publiée dans « L’origine des espèces » en 1859, postule que toutes les espèces vivantes ont évolué à partir d’un ou de quelques ancêtres communs grâce au processus de sélection naturelle. Cette façon d’aborder le monde vivant permet d’expliquer l’origine de la biodiversité sur Terre.

A la même époque mais quelques années plus tôt, Theodor Schwann, professeur à l’Université de Liège, proposait sa théorie cellulaire selon laquelle la cellule est à l’origine de la vie et représente l’unité de base en biologie. Cette œuvre de pensée entraîna par la suite l’avènement de la cytologie, c’est-à-dire l’étude de cellules isolées.

Des années plus tard, au début des années 1900, un autre scientifique de l’Université de Liège, Marcel Florkin, s’appuiera sur ces deux théories pour analyser le monde du vivant à l’échelle des composés biochimiques.

Protéines analogues ou homologues ?

« Marcel Florkin est le père de la biochimie comparée », affirme Vincent Geenen, Professeur d’embryologie à l’Université de Liège. « En 1944, il publie « Evolution biochimique » (1) qui sera traduit en plusieurs langues dont l’anglais, l’italien et le russe. Dans cette œuvre, il pose les fondations de la recherche des traces de l’évolution que l’on peut découvrir à travers la biochimie ». Marcel Florkin commence ses recherches alors qu’il est interne en psychiatrie à la fin de ses études de médecine. « Il était persuadé que les maladies mentales découlaient de perturbations biochimiques. A cette époque, il passe déjà son temps libre au laboratoire. Il travaille notamment dans les pas de Léon Fredericq sur les transporteurs d’oxygène à travers les espèces ». Son animal modèle de prédilection est le vers à soie. Il nourrit d’ailleurs ces invertébrés grâce au mûrier que Léon Fredericq a planté dans le jardin de l’Institut de Physiologie. Dans « Evolution biologique », Marcel Florkin introduit, entre autres, un concept important : la distinction entre l’homologie et l’analogie. Des protéines sont homologues si elles sont parentes, issues d’un précurseur ancestral commun. Des protéines analogues ont évolué pour exercer les mêmes fonctions mais ne sont pas apparentées. « Dans le cadre de ses recherches sur les transporteurs d’oxygène, Marcel Florkin démontrera que l’hémocyanineutilisée par un grand nombre d’invertébrés, et l’hémoglobine, transporteur d’oxygène chez les vertébrés, sont analogues car elles exercent la même fonction sans aucune parenté biochimique », précise Vincent Geenen.

Les différentes phases de la métamorphose du ver à soie. Modifications de la teneur en acide urique du plasma sanguin.

Une unité biochimique du vivant

Dans son ouvrage sur l’évolution biochimique, Marcel Florkin souligne la similitude de la composition chimique organique et inorganique des êtres vivants. Il montre qu’il y a, en effet, une certaine homogénéité dans la composition en protéines, lipides et glucides et qu’on y trouve constamment les éléments inorganiques tels que les ions chlore, les sulfates, etc. Voici un extrait tiré de son livre à ce propos : « En résumé, on observe à travers la série animale un plan chimique fondamental qui est commun à tous ses membres : le corps est toujours constitué pour sa masse prédominante par de l’eau. Dans le résidu sec, la plus grande portion des constituants est toujours formée par un mélange de glucides, de lipides et de protides, et la portion inorganique est toujours en prédominance constituée par des chlorures, des sulfates, des phosphates et des bicarbonates de sodium, de potassium, de calcium et de magnésium ». Un peu à la manière dont Theodor Schwann révéla la cellule comme unité biologique, Marcel Florkin dévoila l’existence d’une unité biochimique du vivant. « Son travail d’unification du vivant à travers le monde de la biochimie est connu de manière universelle » indique Vincent Geenen. Pour mettre cette unité de plan biochimique de la vie animale en évidence, Marcel Florkin a utilisé des méthodes classiques de détection et dosage des composés biochimiques utilisées au début du XXe siècle comme le dosage colorimétrique ou le dosage gravimétrique.

Erudit et lauréat du Prix Francqui

D’autres processus et mécanismes communs aux êtres vivants ont retenu plus particulièrement l’attention de Marcel Florkin au cours de ses recherches. « Il a remarqué que la contraction musculaire, tant chez les vertébrés que chez les invertébrés, combine deux mécanismes d’action: la dégradation du glycogène et l’action de la myosine. La première fournit le glucose pour l’énergie et la seconde est responsable de la contractilité », explique Vincent Geenen. Dans son livre « Evolution biochimique », Marcel Florkin parle également beaucoup de la phosphorylation oxydative. Ce processus se déroule au sein des mitochondries au cours de la chaîne respiratoire des cellules. Pour faire simple, ce processus complexe permet de générer de l’énergie pour la cellule via la transmission de phosphate. « Cette loi est toujours universelle aujourd’hui », précise Vincent Geenen. Ce dernier a lui-même été confronté à des questions d’évolution biochimique lors de ses travaux de recherche. « Notamment lors d’une étude sur l’hypothèse de nouveaux membres de la famille des hormones neurohypophysaires. Nous avons rédigé cet article à la mémoire de Marcel Florkin ».

Grand érudit, ami du Prix Nobel Christian de Duve, Marcel Florkin aimait beaucoup écrire. « Il a édité 34 volumes de Comprehensive Biochemistry dont le 30ème volume est entièrement rédigé par lui et est consacré à l’histoire de la biochimie », souligne Vincent Geenen. Rédiger des livres d’histoire sur les grandes figures de la science à Liège le passionnait également. Enfin, il écrira aussi « Biochimie et Biologie moléculaire » (2) en 1966 qui sera pendant des années le syllabus de référence en biochimie pour les étudiants de l’Université de Liège.

En 1946, les travaux de Marcel Florkin sont récompensés par le prestigieux Prix Francqui que l’on nomme parfois aussi le Nobel belge. L’homme qui déclarait « mon seul propos est de dégager dans l’ordre biochimique les témoignages de l’évolution animale » a largement su laisser sa trace dans l’évolution des connaissances scientifiques !

Un texte rédigé par Audrey Binet

(1) L’évolution biochimique. Desoer (Liège), 1944.

(2) Biochimie et biologie moléculaire. Desoer (Liège), 1966 (1e édition) - avec Ernest Schoffeniels.

Biographie

Marcel Florkin

Marcel Florkin naît à Liège le 15 août 1900. Médecin, il commence sa carrière comme interniste dans un hôpital psychiatrique et décroche son doctorat en médecine à l’Université de Liège (1928). Il continue ensuite sa formation dans diverses universités étrangères comme Harvard, Paris et Cambridge, puis il intègre le FNRS (de 1932 à 1934) avant d’être nommé chargé de cours à l’ULg en 1934. Il y organise les premiers cours de biochimie.

Si son œuvre de biochimiste est considérable, Marcel Florkin est aussi connu pour ses contributions à l’histoire des sciences. Sa biographie de Theodor Schwann fait toujours autorité ainsi que son histoire de la « Médecine et médecins au pays de Liège » publiée en 3 volumes de 1954 à 1964. Mais ses capacités d’organisateur lui valurent aussi une reconnaissance dans le monde de la science et de la culture. Il fut en effet le délégué belge aux conférences générales de l’UNESCO de 1946 à 1974 et Directeur général de l’enseignement supérieur et des sciences en Belgique. Il fut aussi le premier président de l’Union internationale de Biochimie et membre du conseil de la recherche scientifique de l’OMS (Organisation mondiale de la Santé).

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Vincent Geenen

Vincent Geenen est directeur de recherches au F.R.S.-FNRS de Belgique, professeur d'embryologie et d'histoire de la recherche biomédicale à l'Université de Liège, et chef de clinique d'endocrinologie au CHU de Liège. Il dirige le Centre d'Immunoendocrinologie installé depuis janvier 2012 à l'institut de recherche GIGA-R. Il est secrétaire du Fonds Léon Fredericq pour la recherche biomédicale au CHU de Liège et membre de la commission SVS-4 du F.R.S.-FNRS.

Depuis près de 30 ans, Vincent Geenen et son équipe travaillent sur le thymus, organe lymphoïde central du système immunitaire. Ses recherches ont permis de démontrer que le thymus exerce un rôle unique dans l'éducation du système immunitaire à reconnaître et à tolérer les fonctions neuroendocrines, et qu'un dysfonctionnement du thymus est impliqué dans le développement de l'auto-immunité sélective du diabète de type 1. Actuellement, le Centre d'Immunoendocrinologie met au point un nouveau type de vaccination négative/tolérogène contre le diabète de type 1.

Vincent Geenen a aussi été coordinateur du projet intégré FP6 Eurothymaide (2004-2008). Ce consortium de 20 laboratoires académiques et de 5 PME Biotech a travaillé au développement de nouvelles approches diagnostiques et thérapeutiques des maladies auto-immunes basées sur les nouvelles connaissances des mécanismes tolérogènes naturels du thymus.

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Glossaire :

Dosage colorimétrique : type de dosage possible lorsqu'une réaction chimique donne des produits colorés et si l'intensité de la coloration est proportionnelle à la concentration de l'élément à doser.

Dosage gravimétrique : méthode d'analyse qui utilise la masse. Le principe est de faire réagir chimiquement l'ion, l'élément ou le composé dont on veut connaître la teneur dans l'échantillon. Selon le cas, ce peut être la masse du produit ou la différence de masse de l'échantillon qui, après calculs, permettront de déterminer la teneur ou la nature du produit.

Mitochondrie : Structure (ou organite) intracellulaire qui mesure environ un micron, au sein de laquelle l'énergie produite par les molécules organiques est récupérée et stockée avant d'être utilisée par les cellules.