Université de Liège - bicentenaire

Simone David-Constant

Risque professionnel et parcours sans faute

Figure marquante de la Faculté de droit, Simone David-Constant ne le fut pas seulement en tant que première femme à y être nommée professeur. Elle le fut surtout par ses talents pédagogiques, sa hauteur de vue et son souci de jeter des ponts entre les différentes matières du droit, comme le montre son excellente thèse sur l’indemnisation des accidents du travail.

Fille de bonne famille née en 1917, Simone David aurait pu devenir pianiste comme l’espéraient ses parents. Mais la jeune femme souhaite s’inscrire à la Faculté de droit. Ce sera un séjour linguistique de l’autre côté de la Manche en guise d’année de réflexion. Elle en reviendra avec une parfaite maîtrise de l’anglais et la même idée fixe. Bien lui en prit. Brillante étudiante, Simone David-Constant fera toute sa carrière à l’Université de Liège. En 1942, elle devient la première femme assistante de la Faculté de droit, dans le service du professeur Paul Horion, avant de devenir la première femme à défendre une thèse d’agrégation en 1957 et d’être nommée – une première encore – professeur ordinaire en 1961. “Simone David-Constant était une pionnière, à une époque où les femmes étaient extrêmement minoritaires à l’université. Aujourd’hui, les étudiantes sont majoritaires en Faculté de droit et les femmes plus présentes dans le corps académique, de même que très nombreuses dans les métiers de la justice. Mais il ne faut pas perdre de vue ce que cela représentait à l’époque”, commente Christine Biquet, aujourd’hui titulaire du cours de Droit des obligations que donna Simone David-Constant pendant plus de vingt ans.

Inhabituel pour l’époque, son double nom atteste d’une modernité de fait, résultante de son parcours atypique. “Elle a épousé le Procureur général Jean Constant en 1963, alors que sa renommée était déjà acquise sous le nom de Simone David, ce pourquoi elle le garda en lui accolant celui de son mari”, explique Christine Biquet. La tentation serait grande, devant tant de premiers rôles, d’ériger Simone David-Constant en figure féministe. Cependant, comme le souligne Christine Biquet : "ce serait malgré elle, qui jamais ne se revendiqua comme telle, ni ne mena un tel combat. Elle aborda la question avec finesse et hauteur de vue". Ainsi, lors de sa leçon inaugurale de la Chaire Suzanne Tassier 1970-1971, intitulée : "La condition juridique de la femme – Histoire d’une ‘décolonisation’", Simone David-Constant précisa d’emblée : "C’est … dans un climat de sereine objectivité que je voudrais situer nos entretiens à venir. Notre environnement est, en effet, celui d’une chaire universitaire, non d’une tribune de combat. Au surplus féministes et antiféministes trouvent sans peine d’autres voies d’accès à l’opinion publique" (Leçon reprise in textes choisis, p. 156).

Le droit comme discipline pratique et ouverte

En 1957, celle qui s’appelle encore Simone David défend ce que l’on appelait alors la thèse d’agrégation (le titre de “docteur” étant attribué à tous les diplômés en droit). Elle a 40 ans, 15 ans de travail et de réflexion derrière elle mais aussi un séjour d’un an à l’Université de Strasbourg et une expérience de sept ans en tant qu’avocate. “C’est une oeuvre d’une grande maturité, ouverte sur le droit comparé (droit français et droit anglais notamment) qu’elle défendra d’ailleurs avec un succès éclatant”, poursuit Christine Biquet. Le sujet qu’elle a choisi – la réparation des accidents du travail – est pourtant des plus arides. “À l’époque, les accidents du travail sont toujours régis par une ancienne loi de 1903 très technique et quelque peu délaissée par la doctrine”, explique Christine Biquet. En remontant aux fondements et principes de l’indemnisation forfaitaire, Simone David-Constant les confronte aux principes de base de la responsabilité civile de droit commun. “Le principe de la responsabilité en droit commun, c’est qu’il faut une faute, un dommage et un lien de causalité entre la faute et le dommage. Il faut trouver une faute et un fautif pour obtenir la réparation de son dommage. Or, quand on parle d’indemnisation automatique, on oublie l’idée de faute au profit d’une sorte de “deal” : ce sera automatique, mais en même temps ce sera forfaitaire. C’est une thématique très actuelle qu’on retrouve dans bien d’autres domaines, comme en matière d’indemnisation des accidents de la route.” Si Simone David-Constant a choisi ce thème de recherche, c’est explicitement pour son intérêt pratique – les litiges sont alors nombreux – et parce qu’elle conçoit le droit non comme une science abstraite, mais au contraire comme une discipline ouverte sur les réalités économiques et sociales. “Elle est aussi séduite par le sens humain de la recherche, puisqu’est en cause la capacité économique des travailleurs. Même si, à chaque instant, elle veille à se placer aussi bien du côté de l’employeur que du travailleur”, précise Christine Biquet.

Ce faisant, Simone David-Constant explore de multiples pistes de réflexion qui n’ont rien perdu de leur pertinence. “En marge de la responsabilité fondée sur la faute, quelle est la place des hypothèses de responsabilité sans faute ? Sur quel fondement admettre une responsabilité sans faute ou à base de risque ? L’employeur a-t-il une responsabilité à base de risque en raison du profit généré ? Ou – c’est plutôt l’idée qu’elle défend – est-ce parce qu’il a de l’autorité sur ses travailleurs qu’il doit les indemniser ? Faut-il préférer comme c’est le cas aujourd’hui (notamment) en matière d’accidents du travail une indemnisation automatique par le biais de l’assurance obligatoire ? La réparation forfaitaire, le cas échéant incomplète, doit-elle ou non céder le pas à la réparation intégrale dès lors qu’une faute est prouvée dans le chef de l’employeur ?”, énumère Christine Biquet. Cette thèse s’est imposée autant par sa pertinence que par les ponts qu’elle jette entre le droit du travail et le droit des obligations, un souci d’interdisciplinarité qui ne quittera jamais son auteur : “Au moins croirions-nous que notre tentative n’aura pas été vaine si elle pouvait convaincre civilistes et juristes du travail de la nécessité de resserrer leur collaboration ; aux premiers s’offriraient alors une matière en pleine expansion et un contact renouvelé avec les réalités sociales ; aux seconds, une rigueur de méthode aussi utile pour l’application des textes existants que pour l’élaboration du droit de demain”, écrit-elle ainsi dans son avant-propos.

Un Fonds à son image

Dans d’autres de ses contributions, Simone David-Constant s’intéressera, dans ce même souci, à l’incidence du droit de la sécurité sociale sur le droit de la famille, plaidant pour que la subsistance des enfants “non-légitimes” soit assurée au même titre que celle des enfants légitimes. “Au nom de quelle règle morale désavouerait-on cette solution ?”, demande-t-elle en rappelant la citation de Loysel :“qui fait l’enfant le doit nourrir” (“La sécurité sociale, facteur de transformation du droit privé, en particulier du droit de la famille”, Textes choisis). Avec la rigueur sans failles qui la caractérise, elle interrogera aussi la condition juridique et sociale de la femme, en relevant notamment les anachronismes du droit belge qui, en 1971, consacrait toujours la prépondérance du mari dans le régime de la communauté légale. Ce sont encore les thématiques du droit des obligations et de sa modernisation qui retiennent son attention. “Tous ses textes sont marqués par sa grande culture littéraire et historique et sa maîtrise parfaite de la langue”, ajoute Christine Biquet.

Fidèle reflet de sa personnalité, le Fonds David-Constant, créé en 2003 d’après ses dispositions testamentaires, se concentre sur trois axes : la protection de l’enfance défavorisée, le soutien de la restauration du patrimoine liégeois et la promotion des études et des recherches dans le domaine du droit à Liège. Le Fonds a notamment permis la création, au sein de la Faculté de droit, de la Chaire David-Constant, la mise en place de bourses d’études et de séjours scientifiques, la participation à des concours de plaidoiries internationaux, l’organisation de conférences ou encore l’attribution de la médaille David-Constant. “Simone David-Constant était adulée de ses étudiants grâce à son art oratoire et à ses talents pédagogiques, à la clarté de sa pensée et à son choix du mot juste : elle disait qu’enseigner, c'est exposer sans pédantisme les choses compliquées et choisir de ne dire que ce qu'il est important de dire. Elle établissait avec ses étudiants une connivence, par exemple en les mettant en scène dans des casus, tout en conservant toujours une certaine distance. Elle était en somme un parfait mélange de classicisme et de modernité”, conclut Christine Biquet (qui cite I. Moreau-Margrève, "En hommage à Simone David-Constant", Ann. Dr. Liège, 1984/4, p.  261 et J. Hansenne, "Préface", in Textes choisis).

Un texte rédigé par Julie Luong


Références bibliographiques

(1) (1) “Responsabilité civile et risque professionnel : thèse pour l'agrégation de l'enseignement supérieur”, 1957 “En hommage à Simone David-Constant : textes choisis”, 1984

Simone David Constant

Née le 25 janvier 1917 à Liège, Simone David devient docteur en droit de l’Université de Liège en 1941 avec la plus grande distinction et licenciée en Sciences sociales en 1942, toujours à l’Université de Liège. Dès 1941, elle entame le barreau comme avocat stagiaire aux côtés du bâtonnier Haversin de Lexhy.

En 1942, elle devient assistante de la Faculté de droit au service du Professeur Paul Horion et chef de travaux au centre interfacultaire du travail en 1948. Chargée de cours en 1957, elle est nommée professeur ordinaire à la Faculté de droit en 1961. De 1979 à 1980, elle est doyen de la Faculté de droit, d’économie et de sciences sociales. Elle accède à l’éméritat en 1984.

En 1963, elle épouse Jean Constant, professeur de droit pénal et de criminologie à l’Université de Liège et procureur général de Liège, avec qui elle partage le goût des lettres et de la culture.

À sa disparition, en 2003, le Fonds David Constant est créé sur base de ses dispositions testamentaires.

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Christine Biquet

Née le 21 février 1965, Christine Biquet est licenciée en droit (1988) et docteur en droit (1998) de l’Université de Liège. Sa thèse de doctorat a été consacrée au régime juridique des intérêts dans le droit du crédit ; elle a été récompensée par le Prix Jean Bastin 1999 (Prix européen de recherche interdisciplinaire récompensant une étude scientifique sur la défaillance de paiement dans une société de droit) ainsi que par le Prix quinquennal de la Revue critique de jurisprudence belge 2000.

Aujourd’hui professeur ordinaire, Christine Biquet enseigne le droit des obligations (depuis septembre 2008) et le droit du crédit (depuis septembre 1998). Par le passé, elle a dispensé le cours de droit des sûretés comme aussi, à destination des étudiants en gestion, les cours de droit des contrats et de contrats internationaux. Depuis juillet 2005, elle a en charge la direction du Master de spécialisation en notariat.

Ses publications sont axées sur le droit des obligations et de la consommation, sur le droit du crédit, du surendettement et des sûretés. Elle a participé à de nombreux colloques, recyclages et journées d’études, en Belgique ou à l’étranger. Elle a été invitée comme conférencière à l’Université de Montréal dans le cadre de la prestigieuse Chaire Jean-Louis Baudouin en droit civil ainsi qu’aux Universités Hanyang (Séoul) et à l’Université Keio (Tokyo) dans le cadre de la Chaire de la Fondation pour le droit continental. Christine Biquet a aussi dispensé des enseignements dans les universités de Paris II (Panthéon-Assas), Paris XI (Paris-sud), Louvain (UCL) et Fès. Elle est par ailleurs membre expert de la Commission belge des clauses abusives.

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